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Loi fonction publique : une catastrophe s’abat sur l’Education nationale et les profs

jeudi 28 mars 2024, par CGT Educ’Action 94

Derrière les réformes pédagogiques qui se succèdent à marche forcée, derrière les débats sans fin sur la tenue vestimentaire des élèves, derrière les querelles douteuses sur la laïcité, derrière le perpétuel « retour aux fondamentaux », derrière la calomnie du public au profit du privé, derrière les débats sur la manière de remonter le niveau, se cache une autre catastrophe : le massacre méthodique d’une profession et de son statut.
La rémunération au mérite
Depuis quelques semaines, Emmanuel Macron et Stéphane Guérini, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, annoncent la mise en place, ou l’extension, de la « rémunération au mérite ». Les modalités exactes en sont encore floues mais on comprend que c’est la fin du PPCR et du principe de l’avancement de plein droit selon la seule ancienneté. Le 16 janvier 2024, en conférence de presse, Macron annonce que le « mérite » deviendra « le principal critère d’avancement et de rémunération ».
Il ne faut pas s’illusionner : il ne s’agira pas d’apprécier le « mérite » selon des critères objectivables et clairs (prime REP, IMP…). On pense plutôt à une généralisation de ce qui existe déjà dans d’autres corps de fonctionnaires, tel le CIA (Complément indemnitaire annuel), défini comme une « prime facultative qui tient compte de l’engagement professionnel et de la manière de servir ». Des critères vagues, qui garantissent l’arbitraire managérial et empêchent d’avance toute contestation.
Il y a une autre ambiguïté dans ces annonces : on ne sait pas bien ce qui relève de l’avancement indiciaire ou de la rémunération indemnitaire. Les primes et indemnités ne comptent pas dans le calcul de la pension de retraite et ne sont pas pérennes.
A coup sûr, la rémunération au mérite pénalisera les femmes, les parents de jeunes enfants, les fonctionnaires atteint-es d’une pathologie, et, plus généralement, tous celles et ceux qui tiennent à une forme de liberté et d’insoumission dans l’exercice de leur métier.
C’est aussi contraire aux principes fondateurs des statuts de la fonction publique de 1946. Après le régime de Vichy et les nombreuses dérives constatées dans le secteur public (collaboration, recrutements politiques, révocations arbitraires…), il s’agissait de soustraire le fonctionnaire à toute pression politique, économique ou idéologique. C’est ce qu’ont permis la sécurité de l’emploi et de l’avancement. C’est aussi ce qu’a permis le recrutement des enseignant-es par concours anonymes et disciplinaires, et non sur CV ni d’après une allégeance à telle ou telle méthode pédagogique ou à quelque « valeur ». Il est de la plus haute importance qu’un-e fonctionnaire soit propriétaire de son grade et que son traitement soit déterminé par une logique d’avancement. Tout cela est durement attaqué aujourd’hui par les « contrats », les « pactes », le pilotage par le « résultat », l’introduction du management. Quand la rémunération de l’agent n’est plus déterminée par la qualification ni par le statut commun, mais par la servilité et la loyauté à la hiérarchie, peut-on encore parler de service public ?

La désétatisation de l’école
Réclamée depuis longtemps par la Cour des Comptes, évoquée de plus en plus fréquemment par le pouvoir, la désétatisation devient une menace imminente. Il s’agit de territorialiser le recrutement et la gestion des enseignant-es. On expérimente actuellement le recrutement par les chef-fes d’établissement à Marseille. On vante la reprise en main de l’éducation par les collectivités territoriales. Valérie Pécresse demande à ce que le recrutement des professeur-es francilien-nes soit confié à la Région.
L’intérêt de ce processus de désétatisation et de territorialisation est d’introduire une nouvelle flexibilité : selon leur employeur-e, les enseignant-es auront des rémunérations différentes, des statuts différents, comme c’est le cas en Allemagne ou aux Etats-Unis. Ce qui se profile, c’est la fin de l’école de la République, un démembrement du système scolaire national.
La territorialisation est une étape vers la privatisation. On pense par exemple aux agent-es qui exercent dans les établissements scolaires : passé-es aux collectivités en 2004, elles et ils sont de plus en plus confronté-es à l’ « externalisation » de leurs missions. Des collectivités comme les Hauts-de-Seine ou la Région Auvergne-Rhône-Alpes n’hésitent pas à faire appel à des sociétés privées pour prendre leur place. Voilà l’avenir promis aux personnels de l’Education nationale
C’est d’autant plus inquiétant que la loi de transformation de la fonction publique de 2019 a créé un « détachement d’office en cas d’externalisation de service public ». Un-e fonctionnaire peut très vite devenir salarié-e du privé. La perte du statut de fonctionnaire pour les enseignant-es est d’ailleurs dans l’air du temps. C’est ce qui est arrivé aux professeur-es berlinois-es ou hongrois-es.
Ce n’est peut-être pas pour rien non plus qu’a été nommée Nicole Belloubet, qui, en 2016, évoquait la suppression du Ministère de l’Education Nationale et vantait la « plus-value (sic) d’une gestion décentralisée » (Après-demain, « Supprimer le Ministère de l’Education Nationale ? », 2016).
Tout se passe comme si l’on voulait suivre en France le triste modèle des charter schools américaines, ou des friskol suédoises : financement public d’écoles sous gestion privée à but lucratif. Ces écoles ont engendré un appauvrissement des personnels et une hausse des inégalités scolaires, ont introduit dans le système éducatif les contrats d’objectifs et de performance, ainsi que le marketing et la publicité. On peut raisonnablement craindre que ce soit ce projet-là qui se cache sous le mot tant répété d’ « autonomie » : sacrifier l’éducation pour générer de beaux profits.

Le temps de travail des professeur-es
Le temps d’enseignement et de travail des enseignant-es est attaqué sur plusieurs fronts à la fois. Macron a déjà fait des annonces, vagues pour l’instant, de réduction des vacances scolaires. La Cour des Comptes réclame l’annualisation des heures de cours, rendant plus flexible l’organisation de l’année et obligeant les enseignants à rattraper les heures éventuellement perdues (sorties, voyages, examens, réunions…). Cela ne peut aboutir qu’à une augmentation de la masse de travail pour chacun. Avec le statut, ce sont aussi les ORS (obligations réglementaires de services) qui sont menacées : c’est là une vieille obsession de la droite et de la Cour des Comptes ; l’Inspection Générale elle-même préconise une réforme des ORS, dans un rapport d’octobre 2022.
C’est aussi par la réforme de la formation continue que l’on asservit les personnels. On sait qu’elle se tiendra maintenant hors temps scolaire (mercredi après-midi, soir, vacances), mais ne croyons pas que nous pourrons y échapper. Une proposition de loi du 5 mars 2024, présentée par Cécile Rilhac, propose de rendre obligatoire la formation académique. Celle-ci, bien sûr, aura une incidence sur les « carrières et rémunérations ».

Rémunération et recrutement : comment appauvrir une profession
Après des années d’annonces de revalorisation « historiques », les professeur-es se sont vu octroyer quelques miettes, immédiatement absorbées par l’inflation. On a bien compris que, pour nos dirigeant-es, il n’était pas question d’aller plus loin. Le problème est alors le suivant : dans un contexte de pénuries de recrutement, comment peut-on ne pas revaloriser les traitements ? Comment pourrait-on bien ne pas se soumettre à l’implacable loi de l’offre et de la demande ?
La solution est trouvée : il faut s’attaquer à la formation des enseignant-es ! Un document de travail intitulé « Les écoles normales au XXI7me siècle » a été diffusé récemment. Il pose de graves problèmes en termes de conception et de mise en œuvre de la formation des personnels de l’Education et est alarmant sur tous les aspects de gouvernance. La création des ENSP consiste en la création de nouvelles structures sous la double tutelle de l’Education et de la Recherche mais elles sont exemptes de toutes caractéristiques universitaires ! Les personnels enseignant-es et enseignant-es chercheur-ses seraient chois-es par les tutelles et, qui plus est, sur des critères pour le moins flous et arbitraires.
On ouvre aussi un cursus dédié à l’enseignement dès la licence, dans une logique de « professionnalisation », ce qui revient à priver les futurs enseignants de l’accès à une véritable formation universitaire, à les priver de toute expertise disciplinaire, de toute possibilité d’accéder à un autre métier. Finalement, c’est la même méthode que celle appliquée aux élèves de lycée professionnel : de moins en moins de formation générale, de plus en plus de professionnalisation, de stages, et une entrée le plus rapide possible dans le monde du travail.
Pour s’assurer de bien enchaîner les aspirants professeurs, la proposition de loi du 5 mars 2024 ne manque pas d’ajouter que « les élèves-professeurs sont soumis à l’obligation d’exercer au sein de l’éducation nationale pendant cinq ans ».
Qui pourra bien vouloir faire des études qui n’en sont plus vraiment ? Avec en plus un engagement quinquennal ? Pour un métier si dégradé ? Probablement pas grand monde, mais ce cursus offrira sans doute un plan B intéressant à des jeunes en échec scolaire, à qui l’impitoyable machine Parcoursup n’offrira pas mieux. L’enseignement ne sera alors plus un métier de passionné-es, de personnes maîtrisant une discipline et aimant la transmettre, mais un pis-aller. Il s’agit de dévaluer le métier pour ouvrir un nouveau marché du recrutement.
Le tout est joué : il n’y a plus besoin de revaloriser les salaires, il ne s’agit plus d’un métier de conception, mais d’exécution. Que le salaire moyen des enseignant-es soit le salaire moyen de la catégorie B n’est plus une anomalie. On nous racontera peut-être que c’est déjà bien.
Tous ces assauts du capitalisme contre l’Ecole, nous les connaissons. Ils ont frappé d’autres pays bien avant la France (Royaume-Uni, Suède…). Il y a encore un espoir d’y échapper, par une mobilisation massive, ferme et déterminée. Il en va de la survie de notre métier, de son statut et de son sens.