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Les salariés ne veulent pas en rester là 

Interview de Bernard Thibault pour l’Humanité du 6 novembre 2010

dimanche 7 novembre 2010, par CGT Educ’Action 94

Certains syndicats considèrent que la journée de manifestation d’aujourd’hui est décisive pour la poursuite du mouvement. Est-ce votre sentiment ?

Bernard Thibault. Ce n’est pas la question. Même si la plupart des médias ont tiré le rideau, le mouvement est profondément installé dans le pays. Il y a donc besoin de moments o๠on se retrouve tous ensemble. La journée de manifestation d’aujourd’hui représente donc un nouveau temps fort. Il y en aura d’autres. Nous l’avons toujours dit : la CGT ira jusqu’au bout.

Depuis début septembre, le mouvement compte sept manifestations, qui ont chaque fois rassemblé entre deux et trois millions de salariés. Le mécontentement n’est-il pas plus large que la seule question des retraites ?

Bernard Thibault. Le mouvement part des retraites. Mais peut-on aborder cette question sans parler d’emploi, de conditions de travail, de déroulements de carrières o๠de salaires, de pénibilité du travail, du sort réservé aux seniors ou aux jeunes. En quelque mois, le travail syndical est considérable. Alors que le gouvernement a présenté une réforme comptable, nous sommes parvenus à imposer un débat de société sur la place du travail, les conséquences de la crise économique, sur la nécessité d’un nouveau partage des richesses. Les salariés se rendent bien compte qu’on leur demande des efforts financiers en matière de retraite alors que les banques, qui ont été soutenues par l’Etat, sont en train de réafficher des résultats considérables. C’est ce qui explique l’ampleur du mouvement, son assise inégalée en France et au plan international.

Les observateurs internationaux s’intéressent effectivement à ce qui se passe en France…

Bernard Thibault. Tous les syndicats du monde sont confrontés à la même crise économique. Il y a des mouvements sociaux dans d’autres pays, en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Allemagne aussi, mais je constate, une fois de plus, que la résonance de ce qui se passe en France est plus importante qu’ailleurs. La CGT répondra présente pour la journée européenne d’action contre les plans d’austérité le 15 décembre.

La réforme reste impopulaire, mais la loi est votée. Et pour certains, l’effet est quand même démobilisateur. Il faut encore convaincre sur cette question ?

Bernard Thibault. Par principe, une loi dit le droit à un instant T. Toutes sont révisables en permanence. Le gouvernement en donne la preuve lui même puisqu’il a révisé par cinq fois les lois sur la sécurité. Le mouvement social entre dans une nouvelle séquence, qui ne peut pas être celle du renoncement. Certains poussent à des alternatives qui consistent soit, à se donner rendez-vous aux élections présidentielles, soit à prendre pour argent comptant le rendez vous de 2013 fixé par le gouvernement pour remettre à plat le système de retraite. Le problème, c’est que le caractère injuste de la loi va s’appliquer rapidement. Je ne vois donc pas pourquoi il faudrait renoncer à tout faire pour empêcher son application. D’ailleurs, beaucoup de salariés considèrent que ce n’est pas possible d’en rester là . Pour continuer, un grand nombre choisit de se syndiquer. Depuis le 1er septembre, la CGT a enregistré près de 8.500 adhésions, dont 2000 les 15 derniers jours. Je peux vous dire qu’il va y avoir encore des centaines de milliers de personnes dans les rues aujourd’hui.

Nicolas Sarkozy considère que sa légitimité politique issue de l’élection présidentielle l’autorise à tenir bon contre le mouvement social. Cela vous inquiète-t-il pour l’avenir de la démocratie sociale ?

Bernard Thibault. La colère face au passage en force du gouvernement s’exprime fortement dans le mouvement social. Elle explique pour une large part pourquoi 70% des Français soutiennent le mouvement. La représentation politique ne peut pas assurer une réelle démocratie si elle impose des choix de société en ne tolérant pas que d’autres acteurs s’expriment, dont les acteurs syndicaux. Je me souviens encore des polémiques de 2003 o๠parmi les syndicats, certains portaient l’idée qu’on ne pouvait pas agir pendant que le parlement légiférait. Il y a aujourd’hui unanimité syndicale, non pas pour remettre en cause la légitimité institutionnelle des représentant du peuple, mais pour considérer qu’ils ne peuvent pas légiférer en ignorant ce que dit justement le peuple.

Cette légitimité du mouvement social s’exprime fortement dans les manifestations, avec l’idée que Sarkozy va la payer cher. Vous le pensez aussi ?

Bernard Thibault. Cela serait bien normal et c’est même souhaitable. Toucher aux retraites, c’est s’attaquer à un des piliers fondamentaux du contrat social. On ne peut pas prétendre chambouler un des piliers de la protection sociale en ricanant à la face des représentants des salariés.

L’intersyndicale se montre très solide depuis le début du mouvement. L’unité va-t-elle tenir encore ?

Bernard Thibault. Il faut d’abord prendre acte de la confirmation d’une conviction très ancienne de la CGT : on peut bousculer beaucoup de choses si les conditions de l’unité syndicale sont réunies. Et cette fois ci encore, l’unité syndicale est un des éléments moteurs de la formidable mobilisation que nous connaissons. Il est vrai qu’on arrive à un moment o๠peuvent apparaà®tre entre les syndicats des divergences sur l’opportunité des possibilités de continuer l’action pour obtenir d’autres réponses sur l’avenir des retraites. C’est apparu lors de l’intersyndicale jeudi soir. A l’initiative de la CGT, le principe d’une nouvelle journée d’action a été retenu. La date doit être fixée lundi et se situera entre le 22 et le 26 novembre. S’il s’avérait impossible de continuer la bataille sur les retraites avec un engagement unanime de tous les syndicats, la CGT continuerait le combat avec ceux qui veulent le continuer. Pour nous, l’échéance principale est celle du 1er juillet 2011 à partir de laquelle les mesures que nous contestons entreront en application. D’ici là , nous avons largement la possibilité de créer le rapport de forces nécessaire pour obtenir l’ouverture de négociations.