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Du racisme ordinaire aux états généraux de l’insécurité à l’école
jeudi 1er avril 2010, par
Début avril, devraient se tenir sous la houlette du ministère de l’éducation les états généraux de l’insécurité à l’école. La proposition de la tenue de ces états généraux avait été faite dans un contexte de campagne électorale, il s’agissait de renvoyer une certaine image de la société pour mobiliser un électorat bien particulier sur le dos de populations ciblées et stigmatisées. Dans ce contexte que l’on pourrait qualifier de racisme ordinaire, les propos d’Eric Zemmour ne semblent pas aussi scandaleux, dans la mesure o๠celui-ci ne fait que répéter, non pas ce que certains pensent tout bas, mais ce que notre gouvernement et la présidence de la République nous assènent tout haut régulièrement. Il suffit pour cela de se reporter aux propos tenus à l’Elysée par Nicolas Sarkozy le 24 mars, en matière de délinquance juvénile et d’insécurité, qui ont semble-t-il soulevé très peu d’indignation.
Dans l’empressement avec lequel les médias et le public relayent la thématique de l’insécurité à l’école, on est également surpris du manque de sens critique de la gauche dans cette affaire et de la facilité avec laquelle tous, associations, organisations syndicales, sont tentés d’accepter l’invitation du ministre. La manœuvre politique est très habile car une fois de plus, l’intitulé de ces états généraux nous amène à penser l’école dans le cadre voulu et fixé par le gouvernement. La question reste en suspens de savoir si l’insécurité est la meilleure porte d’entrée pour penser l’échec de la démocratisation de l’école. Nous devons nous interroger sur cette large adhésion au discours gouvernemental, pour nous demander en quoi elle est symptomatique d’un certain état d’esprit qui traverse toute la population, et pas simplement la droite ou l’extrême droite.
Il est en effet étonnant que personne ne réponde en réclamant des états généraux de l’école faisant le bilan des politiques néo-libérales de ces dix dernières année et n’appelle à l’évaluation des moyens nécessaires à la reconstruction d’une école de qualité face à la montée des inégalités en France. Parce que le problème n’est pas dans l’origine culturelle ou sociale des fauteurs de troubles, mais est bien dans l’exclusion et la paupérisation croissante d’une partie de la population qui peut de moins en moins bénéficier des mécanismes de solidarité portés par les services publics (l’éducation nationale en fait partie), qui construisent le lien social. Si l’"insécurité" (le contenu reste à définir) est un symptôme du mal qui ronge l’école, il n’est pas le seul symptôme, comme il n’est pas la cause première de la dégradation de l’école publique. Or, ici, ce qui est mis en avant c’est le symptôme, c’est l’insécurité ; tout le reste, y compris l’école, devient très secondaire.
On peut être séduit par le fait que des "experts" s’emparent de la question et répondent pour nous, encore faudrait-il que leur indépendance soit garantie. Rien n’empêchait l’Observatoire de la violence scolaire dirigé par Régis Debarbieux d’organiser un séminaire sur les causes de l’insécurité scolaire en France. Ici, on est dans un autre cadre puisque c’est le gouvernement qui organise l’événement. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les sciences et les techniques ne sont jamais neutres. La sociologie, la psychologie, sont des disciplines qui permettent certainement d’avoir une meilleure compréhension de la société et de l’individu, mais elles permettent aussi d’avoir un meilleur contrôle social des populations et du débat public. Et ici, il faut l’admettre, l’instrumentalisation politique est très efficace.
Le risque de ces états généraux est de banaliser ou de construire comme normal ce qui n’est en fait que très exceptionnel, justifiant ainsi le remplacement progressif des politiques éducatives par des politiques préventives/répressives qui nécessitent le recours non plus aux seuls agents de l’éducation nationale – dont le nombre diminue dans les établissements scolaires –, mais aussi à des agents du ministère de la justice et du ministère de l’intérieur.
Que la violence scolaire soit un fait sociologique autonome indépendant des individus et donc susceptible d’être un objet d’étude sociologique reste tout à fait discutable et doit être discuté. La violence ou l’agressivité sont constitutives de l’individu. L’éducation et la culture permettent à l’enfant comme à l’adulte de canaliser cette violence pour en faire quelque chose de constructif. A l’école, nous accueillons des jeunes qui sont dans un processus de construction, et nous aurons beau "sanctuariser", mettre des portiques de sécurité à l’entrée des établissements scolaires, rien ne fera que nos élèves déposerons à l’entrée des école le potentiel d’agressivité que chacun porte en lui. Au contraire, il faut souligner qu’en fin de compte l’école joue encore son rôle civilisateur puisque très peu passent à l’acte, ce dont, dans les temps de crise actuels, nous pouvons encore nous féliciter.
par Aline Louangvannasy, professeure de philosophie, secrétaire académique de la CGT-Educ’action Midi-Pyrénées
Tribune parue dans Le Monde du 2 avril 2010
La CGT-Educ’action ne participera pas aux Etats Généraux de l’insécurité : http://www.cgteduccreteil.org/spip.php ?article2224