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Note de (re) cadrage sur la délinquance des mineurs, par L. Mucchielli, sociologue, directeur de recherche au CNRS

Extrait ... document à lire absolument et téléchargeable sur le Blog CLARIS

samedi 29 novembre 2008, par CGT Educ’Action 94

Après les récentes déclarations ministérielles sur la délinquance des mineurs et avant la présentation du rapport de la Commission Varinard, une analyse de Laurent Mucchielli, sociologue, directeur de recherches au CNRS.

Le 15 avril 2008, la ministre de la Justice, madame Rachida Dati, avait installé officiellement une « Commission chargée de formuler des propositions pour réformer l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante », dite Commission Varinard, qui doit rendre son rapport fin novembre 2008. Lors du discours d’inauguration, la ministre a justifié la création de cette commission par plusieurs arguments. L’un d’entre eux fait aujourd’hui consensus chez tous les professionnels et les observateurs : la nécessité de reconstruire un texte de loi clair et cohérent là o๠les magistrats utilisent actuellement un texte très compliqué, réformé à une trentaine de reprises depuis 1945. Mais ce « toilettage » ou cette « simplification » est bien loin d’être le seul enjeu de cette nouvelle réforme en préparation. L’on peut même se demander si ce n’est pas un prétexte tant il s’agit surtout de durcir une fois encore le droit pénal des mineurs pour pouvoir condamner plus de jeunes, plus vite, plus tôt dans leur jeunesse et à des peines plus dures. On le sait, tel est l’air du temps depuis la fin des années 1990, et de nombreuses réformes de la justice des mineurs ont déjà eu lieu ces dernières années, qui allaient toutes dans le même sens . Notamment les lois Perben I en 2002 et Perben II en 2004, les deux lois sur la récidive en 2005 et 2007 ou encore la loi sur la prévention de la délinquance de 2007, dont certaines dispositions ne sont même pas encore entrées en vigueur… Pourquoi donc en rajouter encore ? La réponse est elle aussi toujours la même depuis plus de dix ans : la délinquance des mineurs serait un problème toujours plus grave (ce qui amènerait du reste assez logiquement à relativiser l’efficacité des lois). Cette aggravation permanente et continue serait un constat évident, indiscutable, prouvé par les chiffres.

Lors de l’installation de la Commission Varinard, un dossier de presse fut ainsi remis aux journalistes, comprenant une série de données statistiques . Ces dernières furent aussi projetées à travers un petit film montré à l’assistance et accompagné de messages chocs :

« La population de mineurs délinquants a augmenté de plus de 360 % en moins de 50 ans ».
« Alors que la délinquance des mineurs augmente, le nombre de condamnations stagne ».
« En 2006, plus de 57 000 mineurs ont été condamnés, dont plus de 700 pour des crimes ».
« A l’aube du 21è siècle, la délinquance se durcit : en moins de dix ans, les condamnations des mineurs ont cru de 150 % ».
« Les progressions les plus fortes sont constatées chez les moins de 13 ans.
« La délinquance est plus jeune ».
« Cette délinquance des plus jeunes est un phénomène inquiétant ».

Enfin, tout récemment, tandis que se profile la remise du rapport de la « Commission Varinard », la ministre de la Justice a prononcé à la télévision publique les paroles suivantes :

« Il y a environ 4 millions de mineurs entre 13 et 18 ans […]. Il y a 204 000 mineurs qui sont mis en cause pour des actes graves. Des mineurs délinquants, Arlette Chabot, c’est des violeurs, des gens qui commettent des enlèvements, des trafics de produits stupéfiants, qui brà »lent des bus dans lesquels il y a des personnes. Les mineurs délinquants qui sont incarcérés ou placés en CEF y sont majoritairement pour des actes de nature criminelle. Il est important de faire cesser cette spirale de la délinquance.
Quand je suis arrivée au ministère de la justice, j’ai demandé à tous les procureurs que, dès qu’il y a une infraction commise, il y ait une réponse pénale. Parce que, souvent, le mineur était sanctionné au bout de la 52ème fois. Y’a pas longtemps, je viens de rencontrer un mineur à l’EPM de Marseille, 190 délits, 52 fois condamné. Alors à un moment donné, il faut mettre un coup d’arrêt à cette délinquance. […] [la ministre aborde ensuite le sujet des peines plancher et de la répression accrue]. Ça a conduit à quoi ? Les résultats sont là  : la délinquance a fortement baissé. Et en même temps, alors qu’on a une réponse beaucoup plus ferme sur les mineurs délinquants, la délinquance des mineurs continue d’augmenter. Pourquoi ? Parce que les outils juridiques, le texte qui est applicable aux mineurs délinquants n’est plus opérationnel. »

Notre propos (et notre compétence professionnelle) n’est pas ici de discourir sur la philosophie du droit, ni sur le contenu juridique de l’Ordonnance de 1945 et sur celui de la réforme envisagée. Il est en revanche de soumettre à quelques vérifications le diagnostic qui prétend justifier ces réformes, en regardant d’un peu plus près les données statistiques officielles, celles-là même que produisent les services de l’Etat, dont se réclame le gouvernement et que chacun peut consulter sur Internet .

Préambule : données disponibles et rappel méthodologique.

Plusieurs types de séries statistiques émaillent les discours que nous examinons, il faut rapidement rappeler leur nature :

A- La statistique de police (et de gendarmerie) renseigne d’abord sur les « faits constatés » : telle année, nous avons dressé tant de procès-verbaux pour vols, agressions, etc. Mais la majorité de ces faits « constatés » n’ont pas été « élucidés » et l’on ne connaà®t donc pas leurs auteurs (on ne sait donc pas s’ils sont majeurs ou mineurs, par exemple).

B- Lorsque, au contraire, les faits sont élucidés, la statistique de police (et de gendarmerie) renseigne ensuite sur les « personnes mises en cause » à l’issue des enquêtes. Et elle indique notamment si ces personnes sont majeures ou mineures. Mais cette « mise en cause » policière ne signifie pas que les personnes seront poursuivies de la même manière (sous la même qualification des faits) par la justice, ni même qu’elles seront reconnues effectivement coupables (les dossiers policiers peuvent manquer de preuves par exemple).

C- La justice produit également ses statistiques. Au niveau des parquets, l’on peut ainsi voir ce qui est retenu des procédures policières, mesurer l’orientation des affaires et les modes de traitement judiciaire.

D- Au niveau des magistrats du siège, une statistique des condamnations est publiée chaque année à partir des registres du casier judiciaire. Elle renseigne sur les « personnes condamnées », notamment sur le fait qu’elles soient majeures ou mineurs, en donnant de surcroà®t un détail par tranches d’à¢ge que ne connaà®t pas la statistique policière.

Rappelons enfin que ces statistiques administratives ne sont en aucun cas des enquêtes annuelles à visée exhaustive visant à mesurer l’évolution des comportements délinquants dans la population générale. Elles sont le résultat des procédures réalisées sur la partie de la délinquance qui est poursuivie par ces institutions. Et cette partie varie non seulement en fonction de l’évolution des comportements, mais aussi en fonction de l’évolution du droit pénal qui définit les infractions, et en fonction des politiques de sécurité qui donnent pour consignes aux forces de l’ordre et aux parquets de poursuivre plus ou moins tel ou tel type d’infractions. Pour approcher non pas le résultat de l’activité des institutions mais la réalité des comportements, il faut donc regarder aussi les résultats des enquêtes scientifiques réalisées sur des échantillons représentatifs de la population : enquêtes de victimation et enquêtes de délinquance auto-déclarée. Entrons à présent dans les résultats du test.

Premier constat : il n’est pas vrai que la délinquance des mineurs ne cesse d’augmenter tandis que celle des majeurs baisse

A l’examen des statistiques policières (la série des « personnes mises en cause »), il apparaà®t que l’augmentation générale de la délinquance enregistrée depuis une trentaine d’années n’est pas spécifique aux mineurs : elle concerne tout autant les majeurs. Or ceci est systématiquement dissimulé dans les discours que nous évaluons. Il reste donc à prouver que la délinquance des mineurs connaà®t une évolution spécifique. En comparant l’évolution de la part des majeurs et de celle des mineurs parmi les personnes « mises en cause », l’on fait alors ce constat étonnant et qui contredit les discours cités : après avoir fortement augmenté entre 1994 et 1998, la part des mineurs dans l’ensemble des personnes mises en cause par la police et la gendarmerie n’a au contraire cessé de baisser depuis dix ans, passant de 22 % en 1998 à 18 % en 2007. C’est ce que montre le graphique 1 o๠l’on constate à la fois la hausse continue du nombre de personnes mises en cause (échelle de gauche en chiffres bruts) et la baisse de la part des mineurs (échelle de droite en pourcentage).

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Le document " note statistique de (re)cadrage " est téléchargeable en format PDF : ICI, sur CLARIS