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Développer l’accueil des jeunes enfants est un enjeu de société !

Article écrit par Aline Louangvannasy, professeur de Philosophie, CGT Educ Action Midi-Pyrénées

lundi 24 novembre 2008, par CGT Educ’Action 94

Développer l’accueil des jeunes enfants est un enjeu de société.

Et si M. Darcos avait lui-même mis en ligne la fameuse vidéo sur les enseignants et les couches, qui a déclenché récemment une polémique sur la maternelle ? Si on considère la campagne de communication qui se met actuellement en place pour préparer l’opinion à la déscolarisation des deux ans, on ne peut arriver qu’à cette conclusion.

Prendre le risque d’agacer une fois de plus les enseignants, ce n’était pas bien grave dans la mesure o๠depuis quelques années le mécontentement dans l’Éducation nationale est une constante qui a malheureusement pour conséquence de rendre inaudible les protestations qui se perdent dans la masse. Ce qui était important pour le ministre, c’était de faire passer le message que la scolarisation des enfants de deux ans était une dépense inutile pour le budget de l’État, qu’une garderie ferait aussi bien l’affaire.

Stratégiquement la manœuvre est habile. Elle consiste à télescoper deux débats bien distincts. Le débat autour de la scolarisation des deux ans qui est aujourd’hui remise en question et le débat autour du droit garde qui devrait être bientôt à l’ordre du jour. La récente conférence presse associant le ministre de l’éducation nationale et Nadine Morano, la secrétaire d’État en charge de la famille est significative de cette volonté de brouiller les pistes. L’objectif est que l’opinion publique se positionne en faveur de ses préoccupations matérielles immédiates.

Aujourd’hui les parents sont effectivement confrontés en France à des problèmes de garderie, c’est pour cela que le message ministériel est susceptible d’être entendu. L’école maternelle n’a pas la vocation d’être une garderie. En assignant à la maternelle des objectifs qu’elle n’a pas, le ministre mise sur un désaveu de la part des parents. En effet l’école maternelle n’a pas pour vocation d’accueillir tous les élèves de deux ans. Elle ne peut accueillir que les enfants qui ont atteint un stade de développement leur permettant d’être scolarisés. C’est pour cela que l’accueil en maternelle n’est ni obligatoire, ni systématique. Il suffit de prendre l’exemple cher au ministre, de l’acquisition de la propreté, qui ne se fait pas au même rythme pour tous les enfants et qui est une condition nécessaire pour entrer à la maternelle.

Si on s’agite aujourd’hui autant sur l’accueil des deux ans, c’est pour deux raisons qu’il faut distinguer si on ne veut pas entrer dans la logique de la communication gouvernementale. La première raison c’est le vote du budget de l’Éducation nationale. L’accueil des deux ans ne fait pas partie des missions obligatoires de l’École. Par conséquent rien ne contraint le ministre à maintenir cet accueil. Même si cela ne concerne qu’un pourcentage assez faible des effectifs de maternelle, la suppression de la scolarisation des deux ans devrait lui permettre de récupérer dans le premier degré un volume non négligeable de postes afin d’atteindre l’objectif annoncé des 13500 suppressions de postes pour la rentrée 2009.

L’autre raison est l’échéance de 2010 fixé par la Commission européenne aux États membres, leur imposant des objectifs quant à l’offre de structures d’accueil pour les jeunes enfants. En 2010, au moins 90% des enfants de plus de trois ans et au moins 33% des enfants de 0 à trois ans, devraient pouvoir trouver une structure d’accueil. En France nous sommes à deux ans de cette échéance et nous n’avons pas atteint ces objectifs.

Le rapport Tabarot remis au premier ministre cet été, s’inscrit dans le cadre cette échéance. L’enjeu est d’autant plus important que Nicolas Sarkozy s’est engagé lors de sa campagne à garantir cet accueil par un droit opposable.

Garantir l’accueil des jeunes enfants est effectivement une avancée et nous devons encourager M. Sarkozy à concrétiser sa proposition. Aujourd’hui le déséquilibre dans la répartition des tà¢ches domestiques et familiales entre les femmes et les hommes reste encore très marqué. Le coà »t des dispositifs de garde est un facteur dissuasif qui conduit une proportion trop importante de femmes à choisir l’inactivité ou le travail à temps partiel. Les conséquences en sont la dépendance économique des femmes, la persistance d’inégalités professionnelles et salariales entre les hommes et les femmes, la persistance d’inégalités quant à l’accumulation des droits à une pension, la paupérisation des foyers monoparentaux.

Développer l’accueil des jeunes enfants est un enjeu de société. C’est une condition de l’émancipation économique des femmes et du développement d’un bien-être collectif. C’est pour cela que la Commission européenne a déclaré l’accueil des jeunes enfants comme un service d’intérêt général et est décidée à faire pression en ce sens sur ses États membres. Elle préconise pour cela le développement de structures d’accueil diversifiées, de qualité - qualité garantie par le niveau de formation des personnels-, financièrement accessibles à tous, plus particulièrement aux populations les plus fragilisées. Nous avons ici la définition de ce que doit être une mission de service public.

Le rapport Tabarot souligne non seulement que la maternelle est un mode de garde de qualité, mais surtout que c’est le mode de garde le moins coà »teux pour les finances de l’État. L’accueil des enfants de deux ans par l’Éducation nationale entre ainsi complètement dans le cadre de la directive européenne. On pourrait donc s’attendre à ce que le rapport plaide en faveur du développement de l’accueil des deux ans en maternelle. Et bien contrairement à cela, le rapport Tabarot, annonce la disparition de la scolarisation des deux ans et préconise de créer des jardins d’éveil dans les structures actuelles, c’est-à -dire dans les écoles maternelles. L’accueil des enfants de deux ans qui était gratuit au sein de l’éducation nationale deviendrait alors payant. Les communes auraient la charge d’assurer et de garantir ce service.

Les options proposées par Mme Tabarot, reprises mot pour mot par les sénateurs UMP Monique Papon et Pierre Martin, martelées dans les médias par Xavier Darcos et Nadine Morano sont des options dictées uniquement par des considérations idéologiques. Ils reconnaissent d’eux mêmes que la mise en œuvre de ce dispositif - qui restreindrait les possibilités de choix des parents - coà »terait plus cher que de maintenir et améliorer l’accueil des deux ans à la maternelle, tout en développant des dispositifs alternatifs de garde permettant d’accueillir les enfants en dehors des horaires scolaires. Du fait de son coà »t, on peut supposer sans difficulté que l’accès au jardin d’éveil serait alors profondément inégalitaire, le droit de garde annoncé se révélant de fait un non-droit que beaucoup ne pourront pas se payer.

La conséquence de ce projet est donc une fois de plus le désengagement de l’État sur les questions éducatives touchant la petite enfance au profit du secteur privé. Il n’y a pas de raison que des opérateurs privés ne s’emparent pas de ce nouveau et juteux marché, d’autant plus que l’Europe est prête à subventionner abondamment ce secteur. On peut penser également que les établissements scolaires privés sous contrats maintiendront eux, l’accueil des tout petits, non pas pour le service rendu, mais parce que c’est un moyen efficace d’amener les parents à scolariser les élèves dans le privé. Autant dire que cette scolarisation sera alors un moindre mal pour les communes rurales qui ont déjà bien du mal à mettre en place le service minimum d’accueil, qui seront dans l’incapacité de pourvoir à ce nouveau service et seront donc bien contente de pouvoir se décharger sur des opérateurs privés. Voilà comment, sans effet d’annonce cette fois, on renforce le privé au détriment d’un service public de qualité.

Aline Louangvannasy
Professeur de philosophie
Secrétaire régionale de la CGT-Educ’action Midi Pyrénées


Le rapport au Sénat de M. Papon et et P. Martin, sur l’accueil des jeunes enfants